Les logiciels professionnalisants sont une école de rigueur et de réalisme pour les étudiants

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Interviews

Publié le 23/09/2016

Interview - Hélène Deleplancque, Responsable Pédagogique LP PGI à l’IUT Lyon 1 (département GEA) et Responsable du Diplôme d’Université de Comptabilité et Gestion.

Helene Deleplancque

Dans le cadre de vos différents enseignements, quels usages faites-vous des logiciels professionnalisants ?

Suivant le niveau, la filière et les options, nous délivrons des enseignements qui mettent en oeuvre des logiciels de comptabilité, de paie, de bases de données, et un PGI (Progiciel de Gestion Intégré ou ERP), en l’occurrence Yourcegid (ou « Cegid Business Suite »). Ce dernier est notamment utilisé pour travailler sur la transversalité des processus.

De façon générale, cette génération d’étudiants n’a aucun mal à expérimenter et à explorer les outils logiciels : ils n’ont pas besoin que nous leur expliquions les fonctionnalités dans le détail. Nous donnons des modes opératoires et nous favorisons ensuite l’autonomie et l’exploration personnelle.

Vous êtes vous-même diplômée d’expertise comptable, comment exploitez-vous les outils logiciels sur le plan pédagogique ?

Dans le cas des logiciels de comptabilité, nous donnons des objectifs puis nous laissons les étudiants découvrir et s’approprier l’outil. Pour certains cours de GEA, nous avons adopté le logiciel Quadratus de Cegid, qui est largement utilisé par les experts-comptables. L’objectif n’est pas de leur apprendre la saisie mais de leur faire prendre de la hauteur, en mettant en oeuvre des fonctions de révision comptable et des contrôles de compte.

Je constate aussi que l’usage d’un outil comptable leur permet de prendre conscience de ce qu’est le métier lui-même. Et notamment de faire une différence plus claire entre comptable et expert-comptable, ce qui les aide ainsi à se déterminer professionnellement. Ils comprennent également mieux leurs futures responsabilités. La même remarque vaut pour les PGI et la découverte des métiers de gestion.

Utilisez-vous d’autres outils pédagogiques numériques ?

Je suis enseignante à l’IUT depuis 12 ans et j’ai toujours constaté un usage assez soutenu des serious games. En début de première année GEA, les étudiants démarrent les cours sur un de ces jeux pédagogiques. Et au milieu de la 2ème année, ils en utilisent un second. Pour construire certains de mes cours de management et de comptabilité, j’utilise des éléments rencontrés dans ces jeux par les étudiants

Pour vos étudiants, quels sont les avantages à utiliser des logiciels professionnalisants ou pédagogiques ?

Dans le cas des logiciels professionnalisants, les étudiants sont clairement attirés par le caractère professionnel de ces outils. Ils ont donc le sentiment d’être en entreprise, et ils découvrent à cette occasion que les connaissances théoriques que nous leur délivrons prennent un sens. On a tendance à dire qu’il existe un fossé entre l’école et l’entreprise : ces logiciels permettent de créer un pont.

Dans le cas du PGI, les étudiants découvrent que la compréhension en amont des notions de processus ou de modélisation est indispensable. Cette confrontation avec les contraintes intrinsèques de l’outil est très bénéfique : elle renforce leur motivation à comprendre des notions plus théoriques, lesquelles ont tendance à moins les intéresser en général. Cela donne du sens à l’enseignement théorique.

Les étudiants sont par ailleurs bien conscients de pouvoir tirer parti, dans leur CV, des connaissances opérationnelles acquises sur des logiciels professionnels. Au point d’avoir tendance à oublier de mentionner les apprentissages théoriques qu’ils ont reçus !

Quelles sont les difficultés rencontrées par vos étudiants ?

Dans l’ensemble, nos étudiants n’ont pas peur de faire des erreurs informatiques – à la différence des adultes que j’ai la responsabilité de former. A l’inverse, ils ne comprennent pas que l’on ne puisse pas revenir en arrière, comme dans un jeu vidéo. Les PGI apparaissent donc comme une école de rigueur : pour ces étudiants, c’est souvent grâce à l’informatique qu’ils découvrent l’importance de délivrer une information juste, et du premier coup. Ce qui les amène à développer leurs facultés d’attention.

Pour l’enseignant, le numérique entraîne-t-il un changement de posture ?

Oui, et à deux niveaux. Tout d’abord l’investissement personnel de l’enseignant est majoré : il doit au préalable se former aux outils puis consacrer beaucoup de temps à préparer les sessions et contenus pédagogiques numériques. Les cas pratiques doivent être imaginés, puis testés, avant d’être proposés aux étudiants. Et pour que tout fonctionne, il faut parfois faire appel à des informaticiens – que nous avons la chance d’avoir dans notre IUT. Mais ensuite, la posture de l’enseignant change radicalement : les cours deviennent très vivants et agréables. Les étudiants sont motivés par l’action à effectuer et nous n’avons donc plus à gérer des problèmes d’attention. Les choses ne sont plus centrées sur l’enseignant mais organisées autour du logiciel : on devient plutôt animateur d’un groupe qui travaille avec une forte autonomie. J’ai d’ailleurs tendance à dire à mes étudiants que, dans ce cadre, je ne suis que leur consultante hot line !

Quant aux évaluations, elles portent précisément sur les applications effectuées en autonomie par les étudiants. Ces évaluations correspondent aux attentes des entreprises.

Qu’est-ce que cela change dans la relation avec les étudiants ?

Les échanges deviennent beaucoup plus riches avec les étudiants : ils posent beaucoup de questions sur les modes opératoires, les métiers, les compétences à acquérir… Au final, on sent bien qu’ils sont reconnaissants à l’enseignant de leur permettre de faire ces découvertes, et qu’ils sont conscients du travail qu’il a dû fournir. En résumé, pour l’enseignant, l’important investissement de départ est largement compensé par l’efficacité et le plaisir lié au partage de connaissances.

Quels retours avez-vous du côté des entreprises employeuses ?

Elles sont ravies d’embaucher ou d’accueillir en stage des étudiants qui connaissent déjà leurs logiciels ou qui peuvent s’y acclimater, ce qui les rend très rapidement opérationnels.

Comment produisez-vous des contenus pédagogiques adaptés au numérique ?

Nous travaillons en équipe et cela me semble indispensable. Pour ma part, j’essaie de réunir ou de rejoindre des enseignants qui ne sont pas forcément de la même filière ou du même établissement. Cette richesse des vécus, des expertises et des idées est nécessaire pour éviter les erreurs et les pertes de temps.

Pour créer nos cas d’école, nous partons d’un document ou d’une base issue du monde professionnel – le dossier réel d’un expert-comptable, par exemple. Nous avons beaucoup de liens avec des experts-comptables et nous n’hésitons pas à les solliciter car ils sont, depuis bien longtemps, parties prenantes des formations. Et tout le monde y gagne !

Les 3 conseils d’Hélène Deleplancque :

  • Pour bâtir un contenu pédagogique efficace, il faut rendre l’étudiant acteur de l’enseignement et le rendre autonome sur les outils.
  • Les cas prépares doivent être le plus proche possible d’un cas réel d’entreprise. Il faut pouvoir répondre aux nombreuses questions des étudiants, lesquels veulent toujours trouver un sens concret à ce qu’ils étudient.
  • Un travail d’équipe multidisciplinaire est indispensable pour produire des contenus pédagogiques pertinents.