Les compétences clés du XXIème siècle sont une bonne garantie d’employabilité

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Interviews

Publié le 12/12/2016

Jean-Pierre Berthet est directeur de la stratégie numérique de Centrale Lyon, directeur du Learning Lab (Centrale Lyon - EM Lyon Business School), et expert auprès de la Mission de la Pédagogie et du Numérique pour l'Enseignement Supérieur du Ministère de l'Education Nationale, de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche (MiPNES).  

élèves en classe

L'employabilité des étudiants est devenue un enjeu sociétal majeur. Comment la prenez-vous en compte, dans chacune des institutions avec lesquelles vous travaillez ?

L'employabilité est effectivement l'un des grands thèmes de réflexion et d'action des institutions avec lesquelles j'ai la chance de travailler. En tant qu'expert auprès de la MiPNES, je participe à l'accompagnement des établissements d'enseignement supérieur. L'insertion professionnelle fait partie des missions du Ministère : il étudie très attentivement les apports que pourrait avoir le numérique sur diverses thématiques, ou dans des problématiques comme le décrochage scolaire par exemple.
 
Concernant l'employabilité, la réponse qui se développe au niveau des Grandes écoles et des Universités est l'approche par compétences. En réalité, cette approche change complètement les choses : au lieu de focaliser l'enseignement sur la logique propre à chaque discipline, on cherche à accroître les compétences particulières de chaque étudiant. Concrètement, dans les écoles d'ingénieur par exemple, cela se traduit par des référentiels de compétence : ils sont désormais demandés au niveau de la Commission des Titres d'Ingénieurs et, in fine, cela vise évidemment l'employabilité.
 

Quelles sont les compétences clés qui vous semblent indispensables à développer ?

Les compétences clés qui seront les plus pertinentes au XXIème ont été étudiées par plusieurs organismes internationaux. Un consensus fort apparait entre les multiples référentiels publiés par l’UNESCO, l’OCDE, l’Union Européenne, et les Etats-Unis autour des compétences-clés suivantes :

  • collaboration,
  • communication,
  • créativité,
  • pensée critique,
  • résolution de problèmes,
  • capacité de développer des produits de qualité et productivité,
  • compétences liées aux technologies de l’information et des communications,
  • habiletés sociales et culturelles, citoyenneté.Elles constituent donc d'excellents repères pour les enseignants, les étudiants et les employeurs.

Elles constituent donc d'excellents repères pour les enseignants, les étudiants et les employeurs.
 
 

En quoi les compétences clés du 21ème siècle sont-elles pertinentes pour les employeurs ?

Ces compétences permettent à un employeur d'identifier un talent ou un potentiel. Quand elles se trouvent globalement réunies chez un candidat, elles lui permettent notamment : de monter progressivement en compétences, d'être en capacité d'animer des équipes, d'être force de proposition et d'innovation, et d'alerter sur des points critiques. Au final, ces compétences lui donneront la capacité de réinventer les produits et services de l'entreprise - voire ses modèles économiques, ce qui apparaît vital dans un contexte économique où l'ubérisation menace de nombreuses entreprises. Autrement dit, un profil talentueux doit apporter à l'entreprise un esprit d'intrapreneur.
 
Réciproquement, si l'entreprise veut attirer - et surtout retenir - les candidats les plus talentueux, elle doit prouver sa capacité à développer leurs compétences dans l'entreprise ! N'oublions pas qu'aujourd'hui, au-delà du salaire et du poste proposé, les nouvelles générations choisissent leur employeur sur un ensemble de critères. Je souligne que la question de la citoyenneté a toute son importance, associant des notions d'éthique, de respect de l'environnement, et de politique RSE. Tout compte !
 

Quels sont les moyens pour développer l'employabilité tout au long de la vie ?

Il y a effectivement un horizon de l'emploi à court et à long terme. Sur le court terme, la maîtrise des outils, des disciplines et des méthodes enseignées à l'Université ou en Grande Ecole sont fondamentales. Mais les compétences que nous avons évoquées s'avèrent nécessaires tout au long de la vie professionnelle.
 
Comme le dit un nouvel adage : les étudiants doivent être formés pour des métiers qui n'existent pas encore, autour de technologies qui n'ont pas encore été découvertes, pour résoudre des problèmes qui n'ont pas encore été identifiés. Vaste programme ! Les enseignants doivent les préparer à changer plusieurs fois de métier dans leur vie, en toute sérénité.
 

En quoi les compétences liées aux TIC sont-elles importantes, sur le court et le long terme ?

Le numérique reste en effervescence permanente. Regardez comment, en moins de 10 ans, se sont succédés et renforcés plusieurs phénomènes : la spectaculaire montée en puissance de l'ubérisation, l'Internet des Objets (les objets connectés sont devenus plus nombreux que les êtres humains et leur croissance est quasi-exponentielle), l'impression 3D, le big data, l'intelligence artificielle…
 
Bref, personne ne peut prévoir ce qui nous attend dans les 10 ans à venir. Pour prendre un seul exemple, on sait désormais que les voitures et les véhicules autonomes de demain seront construits autour de leur système d'exploitation. Plus généralement, le numérique est en train de s'enraciner dans tous les secteurs, souvent pour y prendre un rôle central.
 
C'est ce qu'était venu dire Guillaume Pepy, président du directoire de la SNCF, à nos étudiants de Centrale Lyon, il y a quelques semaines. Il leur expliquait en quoi les compétences autour du numérique étaient fondamentales, au sens où elles permettent de réinventer les métiers. Une vraie culture numérique - qui inclut la compréhension des usages individuels et de leurs dimensions sociétales - apporte la hauteur de vue indispensable pour penser au-delà de son coeur de métier actuel. Elle permet d'innover avec et autour des outils et des canaux numériques, à rester en empathie avec les besoins des usagers.
 
Demain, les ingénieurs et les décideurs devront donc intégrer cette culture du numérique, très vivante, dans les problèmes complexes qu'ils auront à résoudre, et cela sans être des informaticiens. Tout en dirigeant ou en accompagnant le travail d'équipes pluridisciplinaires, souvent multi-culturelles et internationales…
 

Quel pourrait être le rôle de lieux comme les learninglabs dans cette acquisition de compétences clés ?

Un LearningLab est un laboratoire d'innovation pédagogique. En France, Belgique et Canada, on en compte une cinquantaine, regroupés au sein du LearningLab-Network. Typiquement, dans celui qui est commun à Centrale Lyon et EM Lyon Business School, nous travaillons suivant 3 axes : les nouvelles méthodes pédagogiques, en quoi ces méthodes sont impactées par les technologies, et les nouveaux espaces d'apprentissage (travail interactif, travail en mode projet, etc.).
Pour en revenir aux nouvelles générations, on constate qu'elles sont certes attachées à des valeurs d'adhésion, mais elles ont aussi propension à quitter très vite un emploi où elles s'ennuient. Pour attirer ou garder les jeunes embauchés, et pour les aider à monter en compétences, il faut les placer dans des conditions et des lieux de travail stimulants, à l'image des LearningLabs. Rappelons que selon l'étude Ipsos-Steelcase (2016), il n'y aurait en France que 5% de collaborateurs engagés et satisfaits de leur environnement de travail, contre 13% dans le monde !
 
Dans certaines entreprises de pointe, comme Google, le lieu de travail ressemble à un lieu de vie. Dans le cas de Steelcase, leader mondial de l'aménagement des espaces de travail, l'immense cafétéria de Grand Rapids est devenue un lieu de travail convivial, qui a inspiré le style WorkCafé. Autre exemple, celui de la SNCF, qui a installé dans plusieurs villes des centres 574 (la vitesse record du TGV !). Ces lieux d'innovation accueillent des salariés de la SNCF, des étudiants et des labos de recherche, et hébergent des startups, pour co-innover autour des transports.
 
Les learninglabs s'inscrivent dans cette tendance à inventer des lieux qui favorisent les croisements d'expérience. De plus, ils facilitent les postures de créativité et le recours à des outils créatifs ou à haute valeur pédagogique - du Lego au tableau de post it numérique connecté. Les échanges s'effectuent sur place et éventuellement avec des interlocuteurs à distance, via des dispositifs de téléprésence et de visioconférence mobile, par exemple.

Robotcampus au LearningLab

De tels lieux et outils permettent la construction d'une intelligence collective. Ils peuvent s'apparenter ou s'associer à des fablabs, pour effectuer du prototypage rapide ou des tests de concepts.

Quels autres outils pédagogiques numériques vous paraissent pertinents pour l'étudiant ou l'employé ?

De nombreux outils numériques pédagogiques sont disponibles et ont fait leurs preuves. Certains, comme les moocs et l'e-learning sont bien adaptés à un apprentissage tout au long de la vie. Ils sont efficaces pour développer son employabilité, en suivant des modules adaptés - la possibilité de bénéficier d'une certification étant en train de se développer rapidement. Ce qui n'exclut pas des principes d'apprentissage en présentiel, nécessaire pour de nombreux métiers, voire l'entrainement sur des robots d'apprentissage, des simulateurs ou des jeux intelligents.
 

Quels seraient vos conseils aux étudiants, soucieux de leur employabilité à court et long terme ?

Tout d'abord, je les inviterais à ne pas négliger leur e-réputation et à tenir compte du fait que certains employeurs regardent attentivement la page Facebook d'un candidat ! Plus généralement, il me semble que la bonne gestion de ses données personnelles et de celles de son entreprise est essentielle : elle s'intègre dans ce qu'on peut appeler l'e-leadership.
 
Ma seconde recommandation concerne la mutation profonde qui est en train de s'opérer dans nos sociétés, et qui va se traduire par des disparitions de métier massives dans les années qui viennent. Les personnes qui sont formées à des processus formalisés et répétitifs - y compris dans le tertiaire - courent un grand risque d'être remplacées par des robots ou des logiciels intelligents, à court ou moyen terme. L'IA a fait des progrès énormes, et couplée au big data elle apporte des outils très puissants, susceptibles de bouleverser de nombreux métiers. Encore une fois, préparez-vous activement et sereinement à changer plusieurs fois de métier dans votre vie professionnelle !
 
Christophe Castro pour Cegid Education