Donner aux enseignants une vision concrète des acteurs économiques

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Interviews

Publié le 08/07/2016

Auteur : Christophe Castro

Interview : Véronique Blanc -Inspectrice Pédagogique Régionale, Responsable Adjointe du CERPEP

photos d'étudiantes
Véronique Blanc

Véronique Blanc est Inspectrice Pédagogique Régionale, Responsable Adjointe du CERPEP et Fondatrice de l’Association R2E.

CERPEP : Centre d’Etudes et de Recherche sur les Partenariats avec les Entreprises et les Professions, au sein de l’Inspection Générale de l’Education Nationale
R2E : Rencontres Entreprises Enseignants

Vous travaillez au rapprochement entre les enseignants et les entreprises. Comment et dans quel cadre ?

Avant de prendre mes fonctions au CERPEP et de fonder R2E, j’ai été enseignante pendant 20 ans. Dans le cadre du CERPEP ma mission est de créer du lien entre les enseignants et les entreprises, essentiellement par le biais de stages, dans toutes les disciplines, et notamment en Economie-Gestion (discipline qui jusqu’au 1er septembre 2013 était, avec les Sciences Techniques et Industrielles, les disciplines ouvrant droit à des stages CERPEP). Les stages se déroulent dans des PME, des grandes entreprises, des associations, ou même des entreprises de l’Economie Sociale et Solidaire.

Le CERPEP organisait environ 1000 stages par an jusqu’à l’année dernière. En 2015 du fait de l’ouverture des stages à toutes les disciplines, décidée par le doyen de l’Inspection Générale, ce sont près de 1500 stages qui seront proposés aux enseignants et à tous les personnels de l’Education Nationale en France. Leur durée est de 1 à 3 jours, mais des stages plus longs – une semaine voire plusieurs mois et même une année peuvent être mis en place.

L’association R2E a été créée à Créteil et la mission qu’elle s’est donnée est d’organiser des journées thématiques réunissant entrepreneurs, dirigeants d’associations, inspecteurs généraux et territoriaux afin de traiter des sujets autour de la relation école entreprise, à destination d’un public d’enseignants de toutes disciplines. A l’occasion de ces journées thématiques il s’agit de présenter des outils pédagogiques innovants permettant aux enseignants de renouveler leurs pratiques. R2E s’est désormais implantée en Ile de France, grâce au soutien de la fondation Entreprendre et commence à intéresser d’autres Académies.

Le CERPEP comme R2E s’adressent en priorité aux enseignants du secondaire mais pas exclusivement. Dans le cadre du CERPEP nous développons actuellement nos relations avec des professeurs d’Université, et des Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education.

Quels sont les objectifs des stages CERPEP ?

L’objectif commun de ces stages est d’apporter aux enseignants une vision plus concrète du monde économique, en leur faisant découvrir des métiers, des parcours professionnels, en leur permettant de mesurer les compétences attendues par les entreprises. Il est important également pour eux de travailler sur des problématiques concrètes afin d’illustrer leurs cours. Ces stages sont aussi à l’origine de projets pédagogiques en lien avec des entreprises, au niveau local voire national.

A l’issue de son stage, l’enseignant pourra partager son expérience avec ses élèves. Ce qui lui donne l’opportunité de leur faire passer des messages utiles à leur orientation professionnelle ultérieure.

Qu’est-ce qui motive les enseignants à rencontrer ainsi les entreprises ?

On peut distinguer 4 motivations principales :

  • l’envie de renouveler ses pratiques pédagogiques,
  • la curiosité de découvrir une entreprise, actrice du monde économique,
  • la volonté d’échanger avec ses pairs,
  • l’inscription dans une démarche de co-création d’un projet pédagogique, avec des acteurs économiques, démarche parfois associée à une recherche de financement.

Et du côté des entreprises, quelles sont les motivations ?

A l’issue de ces stages avec des enseignants ou des professionnels de l’enseignement, les entreprises gagnent en visibilité. En effet, certaines d’entre elles développant des compétences, voire des métiers spécifiques et peu connus, les font ainsi découvrir aux élèves via l’enseignant.

Pour les entreprises, la seconde motivation principale réside dans une démarche RSE particulière. Un partage d’expérience, un développement de projet pédagogique, ou un mécénat de compétences peuvent intéresser les entreprises, dans le cadre d’un partenariat avec l’Education Nationale.

Une troisième motivation ressort également ces dernières années : certaines entreprises créent des fondations dans le domaine de l’éducation dans lesquelles les salariés s’impliquent bénévolement car ils trouvent du sens à un tel engagement. Ce sont de nouvelles occasions pour les entreprises de créer de la cohésion au sein de leurs équipes mobilisées sur un enjeu majeur de notre société.

Quelles sont les difficultés de compréhension entre le monde de l’enseignement et celui de l’entreprise ?

La principale difficulté vient… de l’imaginaire ! Les idées reçues, d’un côté comme de l’autre, sont toujours là. Mais il est surprenant de constater à quelle vitesse ces stéréotypes disparaissent quand les personnes se rencontrent. C’est encore plus flagrant quand les enseignants passent du temps en entreprise, même 2 ou 3 jours.

Il est très stimulant pour les enseignants d’entendre des chefs d’entreprise ou des cadres dirigeants leur dire à quel point ils sont ouverts à la co-construction de projets pédagogiques. Par ailleurs, lors du stage, les enseignants apprécient d’être bien accueillis par les salariés, comme c’est le cas en général.

A la suite d’un stage de l’enseignant en entreprise, qu’est-ce qui est transmis aux élèves ?

Lors des stages, parmi les stéréotypes, les enseignants découvrent qu’un certain mal être au travail n’est pas toujours présent ou aussi aigu que certaines études le laissent imaginer. Au contraire, de nombreux salariés travaillent avec entrain ou plaisir, et cette réalité est très importante à transmettre aux élèves !

Enfin le stage de l’enseignant débouche souvent sur des propositions de stages pour ses élèves, ou sur l’opportunité de les associer à un projet pédagogique.

Vous préconisez la visite de professionnels dans les classes. Dans quel but ?

Je pense que les acteurs du monde économique devraient faire des sortes de mini-stages dans les classes du secondaire, ce qui est différent de venir y faire des présentations. Ils pourraient ainsi partager leur expérience professionnelle, et même aller au-delà en s’impliquant dans l’élaboration d’un cours, en étroite collaboration avec l’enseignant.

Cela leur donnerait l’occasion de découvrir les interactions avec les élèves, de mettre en évidence les points d’intérêt et de blocage. Ces pratiques sont courantes dans les écoles de commerce et de plus en plus répandues dans les universités, mais elles restent rares dans l’enseignement secondaire.

Quel type de demande recevez-vous à propos des logiciels professionnalisants ?

Je reçois régulièrement des demandes d’enseignants pour monter des partenariats pédagogiques avec des entreprises autour de ces outils qu’ils souhaitent mieux connaître. Et réciproquement, de nombreuses entreprises, souvent de grands groupes, mettent à la disposition des enseignants les plateformes d’apprentissage qu’ils utilisent pour former leurs employés aux logiciels.

Des stages CERPEP sont aussi organisés en partenariat pour informer et former les enseignants aux nouvelles pratiques professionnelles, dans des secteurs comme l’hôtellerie et la restauration.

Au CERPEP, nous travaillons avec d’autres acteurs du Ministère de l’Education Nationale sur des projets en lien avec les entreprises. En effet, nous souhaitons répondre à une forte demande de travailler sur des outils numériques, souvent de type e-learning, et en faire bénéficier les enseignants à moindre coût. En effet le nombre d’enseignant et de personnel de l’Education Nationale étant très important eu égard aux capacités d’accueil des entreprises, nous cherchons à développer des outils numériques permettant de travailler à distance.

L’idée n’est pas de supprimer l’immersion en entreprise et les contacts directs mais de les limiter dans leur durée de façon à permettre un accès au plus grand nombre. Les entreprises ne pouvant augmenter le nombre de journées qu’elles offrent aux personnels de l’éducation, il s’agit de limiter le nombre de jours de présence par enseignant en compensant par la mise en place d’outils numériques accessibles à tous.

Quelles initiatives préconisez-vous pour développer ces échanges enseignants-entreprises ?

Il me semble qu’il faut multiplier les occasions de rencontres concrètes, qui peuvent commencer par la participation à une journée éducation économie ou un stage d’une journée.

Il est important également chaque fois que cela est possible de valoriser ce qui se passe déjà sur notre territoire, dans les académies, car lorsque des expériences positives sont connues, les conditions pour organiser de nouveaux échanges sont réunies et ces échanges se multiplient !

De nombreuses initiatives existent en effet et elles sont très peu connues voire pas du tout connues des acteurs locaux tant du côté éducation que du côté économie.

Développer les outils numériques pour permettre une participation du plus grand nombre possible d’acteurs du système éducatif, en associant notamment dans le cadre de stages une partie en e-learning et une autre en présentiel. Cette association aurait l’avantage de l’efficacité et du moindre coût. Et elle bénéficierait directement aux enseignants, aux entreprises et aux étudiants.

Les 2 conseils de Véronique Blanc

Utiliser les réseaux publics et privés qui œuvrent dans le cadre de la relation école entreprise.

Si l’on est un enseignant qui n’a pas l’habitude d’aller vers les entreprises, la bonne volonté et l’esprit d’ouverture ne suffisent pas toujours, et les refus ou les incompréhensions ne sont pas rares lorsque l’on frappe directement à la porte d’une entreprise dans laquelle on n’a aucun contact. Le fait de participer à des événements ou des stages organisés par les académies (plan académique de formation), par la direction générale de l’enseignement scolaire (plan national de formation) ou l’Inspection Générale (stages et journées d’animation CERPEP) ou de contacter d’abord une association spécialisée, évite de se sentir seul face à une démarche très impliquante, et permet de bénéficier de conseils et d’un réseau d’entreprises intéressées.

Impliquer les collègues, les chefs d’établissement, les inspecteurs autour de soi et communiquer

largement sur ce que l’on fait avec ses élèves, dans sa classe, dans son établissement, dans son académie, en lien avec les entreprises. En effet c’est en communiquant que l’on se rend compte que d’autres acteurs du système éducatif participent à de nombreuses actions et c’est ainsi qu’en coopérant on peut grâce à l’intelligence collective être porteurs d’innovations pédagogiques, au sein de chaque discipline.